Le Monde Afrique
L’Afrique au défi de la santé infantile (7). L’accès aux services de néonatalogie est un enjeu de santé publique au Sénégal. Les structures de santé doivent composer entre explosion des besoins et manque de moyens.
Même en additionnant leurs deux poids, les jumeaux de Fatoumata Ka pesaient bien moins de 3 kg, le poids moyen d’un nouveau-né arrivé à terme. C’était il y a vingt-deux jours. Aujourd’hui, cette jeune maman de 22 ans attend devant la porte du service de néonatalogie de l’hôpital Roi-Baudoin que les infirmières lui fassent signe. Venir allaiter son fils et sa fille, nés avec deux mois d’avance, est un moment de communion précieux. En attendant, prostrée sur son banc, la jeune Sénégalaise n’a pas tout à fait oublié l’accouchement très prématuré qui lui a donné deux bébés si chétifs encore, même après trois semaines de vie.
Dans la couveuse, où ils se débattent avec les tuyaux de leurs perfusions, aucun des deux n’a encore de prénom. Pas plus d’ailleurs que les quatre autres bébés du service de néonatalogie de l’hôpital de Guédiawaye, à une heure de Dakar. « Les parents ne veulent pas leur porter malchance en les prénommant trop vite », raconte Jean-Baptiste Diouf, pédiatre et chef du service de néonatalogie. Pourtant, à l’hôpital Roi-Baudoin, les raisons d’espérer sont nombreuses tant le lieu fait figure de référence. En dix ans, le petit centre de santé à l’allure sinistre hier s’est mué en un hôpital moderne où les patients se promènent volontiers dans les allées fleuries qui mènent aux différents services.
Chute de la mortalité infantile
« Pratiquement toutes les femmes du département viennent accoucher ici. Et d’autres arrivent aussi de plus loin car les centres de santé voisins nous envoient beaucoup de patientes », explique Ramata Danfakha Ba, à la tête depuis quatre ans de ce centre hospitalier dont la maternité assure 4 500 accouchements annuels. Rétrospectivement, Fatoumata Ka aurait aimé donner naissance à ses bébés ici plutôt qu’à l’hôpital de Tivaouane, à 90 km. Quel souvenir que ce moment où elle a dû quitter sa maternité pour chercher elle-même un lieu capable d’offrir une assistance à ses tout-petits. Après « cinq heures sur la route », un double rejet de l’hôpital de Thiès et de celui de Diamniadio qui, faute de place, ont refusé d’accueillir ses jumeaux prématurés, l’hôpital de Tivaouane lui a enfin trouvé une place à Roi-Baudoin.
La renommée de l’hôpital tient en grande partie à la mise en place de son service de néonatalogie. Avec ses dix lits, l’unité de soins d’urgence dédiée aux nouveau-nés a changé la physionomie de tout le service de pédiatrie. Avant, celui-ci ne disposait que de quatorze places pour accueillir les patients de 0 à 15 ans, « nous étions obligés d’évacuer les bébés qui naissaient avec des pathologies graves vers d’autres hôpitaux mieux équipés, avec tous les risques que cela comporte. D’autant, que quand l’ambulance n’était pas disponible, on n’avait pas d’autre choix que de les envoyer par taxi. Nous avons perdu beaucoup de nouveau-nés comme ça », se souvient Ramata Danfakha Ba, heureuse d’avoir enfin inauguré en novembre 2018 une néonatologie flambant neuve.
Rapidement, depuis l’installation des trois couveuses, de quatre tables de réanimation et de trois berceaux, la mortalité néonatale a considérablement diminué à Roi-Baudoin. En 2016, 57,5 % des décès du service de pédiatrie concernaient des bébés, selon les données de l’hôpital. Aujourd’hui, le taux de mortalité a chuté à 11,8 % et les progrès ne s’arrêtent pas là puisque « les évacuations de nouveau-nés ont baissé ainsi que les refus de prise en charge des grossesses à risques », se félicite M. Diouf. Sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, huit infirmières et deux pédiatres veillent sur ces patients très fragiles. Car, ici, « les premières causes d’hospitalisation en néonatalogie sont les naissances prématurées et le faible poids des bébés », constate-t-il. D’autres pathologies s’y ajoutent comme les infections et les asphyxies néonatales.
« Quand un enfant sort, un autre entre »
Aussi performant soit-il, force est de constater que le dispositif atteint déjà ses limites. En un an, l’unité a accueilli 364 nouveau-nés pour une capacité de dix lits, soit un taux d’occupation de 99 %. « Quand un enfant sort, un autre entre », observe le chef de la néonatalogie, conscient que « le manque de places pose déjà problème ». Et cette prise en charge néonatale a des répercutions en pédiatrie générale, car elle encourage les mères à poursuivre le suivi médical de leur nourrisson, ce qui n’était pas le cas auparavant. Au point qu’« il y a aussi une vraie augmentation des consultations et des vaccinations », observe le praticien. Rien que pour le mois d’octobre, les deux pédiatres du service, épaulés par deux internes, ont effectué 1 150 consultations. Dans la cour, la salle d’attente avec ses deux longues rangées de bancs ne désemplit pas.
Alors, pour renforcer ses compétences en néonatologie, l’hôpital attend l’ouverture imminente d’une unité « kangourou », permettant aux mamans d’éviter les couveuses en gardant près d’elles leur bébé prématuré. Une autre réponse à la demande en soins néonatals, plus naturelle et moins médicalisée. Si M. Diouf y voit une façon de « permettre une meilleure rotation des patientes », Mariama Ndiaye, cheffe infirmière, préfère considérer que c’est d’abord une solution plus adaptée aux mères : « Cela va les rassurer parce qu’elles pourront rester avec leur enfant. » La formule est aussi moins onéreuse que des journées en couveuse. Ce qui en fait un argument de plus pour la directrice du lieu.
Pugnacité et charisme
« On aurait pu dire que la priorité était ailleurs : augmenter les salaires ou acheter des médicaments pour les autres services. Mais je tenais à cette unité de néonatalogie », raconte fièrement Ramata Danfakha Ba sans qui le projet n’aurait jamais vu le jour. Reconnue pour sa pugnacité et son charisme, la directrice a su ouvrir les bonnes portes pour financer le projet. Elle a d’ailleurs été récompensée en 2015 du prix de « géante invisible » par la Fondation allemande Heinrich-Böll qui distingue les personnalités les plus engagées dans leur pays.
L’hôpital Roi-Baudouin, qui ne bénéficie quasiment pas de subventions de l’Etat sénégalais du fait de son statut d’hôpital de niveau 1, fonctionne sur ses recettes. Au Sénégal, seuls les hôpitaux régionaux de niveau 2 et de Dakar de niveau 3 sont subventionnés, ce qui marginalise les structures de santé plus petites. Forte de ce constat, Mme Ba s’est adressée au Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) qui a offert 91 000 dollars (81 728 euros) pour la réhabilitation, l’équipement des locaux et la formation du personnel.
Officiellement, le gouvernement sénégalais affiche sa volonté d’améliorer les soins obstétricaux et néonatals d’urgence (SONU) pour faire tomber une mortalité infantile qui a augmenté de 19 à 28 pour 1 000 entre 2014 et 2017.