« L’enfant n’a pas besoin d’eau en plus du lait ». Si la classe moyenne urbaine est bien informée, la pratique reste peu répandue malgré ses nombreux bénéfices sur la santé.
Les chaises en plastique de la salle d’attente ont été installées jusque sur le parking du centre de santé d’Ogudu pour respecter les mesures de distanciation physique liées à l’épidémie de Covid-19. A l’ombre d’un anacardier, une vingtaine de femmes, leurs enfants sur les genoux, attendent à bonne distance les unes des autres qu’une infirmière les appelle pour vacciner les petits.
Chaque jour, près de 150 patientes passent la porte de cette petite clinique défraîchie d’un quartier populaire de Lagos, la capitale économique du Nigeria. A toutes, on tient le même langage et on recommande de pratiquer l’allaitement maternel exclusif jusqu’aux 6 mois des enfants. « Juste après l’accouchement, nous encourageons les femmes à mettre leur enfant au sein et leur expliquons les bénéfices de l’allaitement maternel exclusif pour sa croissance et sa santé », explique le docteur Akintola, la moitié du visage cachée derrière son masque. Le conseil est bien reçu par les femmes qui consultent ce jour-là. Dans ce pays où le taux de mortalité infantile est encore de 120 pour 1 000 (contre 3 pour 1 000 en France), chacun connaît des parents endeuillés.
Agnès Edward soulève son fils de 9 mois, King David, un poupon aux joues rebondies. Comme ses deux aînés, l’enfant a été exclusivement nourri au sein pendant ses six premiers mois. « Ça a été facile pour moi d’allaiter, assure leur mère, car j’ai eu la chance de recevoir le soutien de ma sœur et de mon mari, tous les deux très présents. » Agnès a perdu son emploi il y a quatre ans, lorsque la famille pour laquelle elle travaillait comme domestique est partie s’installer au Brésil. Avec son salaire de l’époque, elle avait pu s’acheter un tire-lait, qu’elle utilise encore aujourd’hui lorsqu’elle laisse ses enfants à une amie. Un luxe que la majorité des Nigérianes ne peuvent s’offrir.
« Même à l’église il y a une salle pour ça »
Dans ce pays, le plus peuplé d’Afrique avec 200 millions d’habitants, toutes les mères ne sont pas encore convaincues des bienfaits de l’allaitement. Le Nigeria affiche même un taux d’allaitement exclusif parmi les plus faibles d’Afrique subsaharienne. Selon une étude de 2018, seuls 29 % des bébés en bénéficient. Une situation qui « évolue très lentement, mais nous espérons monter à 50 % d’ici à 2025 », promet Ijeoma Onuoha-Ogwe, qui travaille pour l’Unicef. L’enjeu est de taille, car « quand l’enfant n’est pas exclusivement nourri au lait maternel, cela veut dire qu’il ingère de l’eau, voire des aliments solides ; cela affaiblit son système immunitaire, favorise la malnutrition et accroît les risques de diarrhée, une des premières causes de mortalité infantile ».
Ijeoma Onuoha-Ogwe se rappelle avoir vu des femmes donner à leur nourrisson du « pap », de la farine de manioc diluée dans de l’eau : « Elles ont parfois du mal à comprendre que l’enfant n’a pas besoin de boire de l’eau en plus du lait. Elles pensent aussi qu’il aura du mal à diversifier son alimentation si elles ne l’habituent pas très jeune à la nourriture solide. Ce qui est totalement faux. » Les préjugés sur l’allaitement circulent dans toutes les couches de la population, des provinces reculées jusqu’aux grandes villes.
Victoria Akuidolo, une styliste de 27 ans, se souvient avoir dû défendre ce choix face à sa mère. « Lorsqu’elle s’est rendu compte que je donnais exclusivement du lait maternel à ma petite fille, elle m’a demandé si je manquais d’argent pour acheter du lait en poudre », se remémore la jeune femme en attirant à elle sa fillette de 3 ans. La modéliste dit n’avoir eu aucun mal à la mettre au sein, pas plus que son petit garçon de 9 mois. « Ici, il est assez simple de trouver un endroit où allaiter. Même à l’église il y a une salle pour ça », explique-t-elle, admettant que son travail en indépendante lui a facilité la vie : « Si j’avais dû sortir pour aller travailler, il aurait été beaucoup plus compliqué pour moi de m’organiser pour garantir un allaitement exclusif. »
Impliquer les pères et la communauté
En 2018, le Nigeria a officiellement étendu la durée du congé maternité de trois à quatre mois. Si Victoria n’est pas concernée, Chiboza Tony-Nze a pu, elle, bénéficier de cette avancée, qui ne concerne que les femmes employées dans le secteur formel. Cette analyste dans un cabinet d’assurances de Lagos a pu quitter son travail pour s’occuper de Daniel, son premier-né. Si elle l’a nourri au sein les premiers temps, Chiboza n’a pas pu maintenir un allaitement exclusif pendant les six premiers mois de l’enfant. « Daniel est né par césarienne et j’ai rapidement manqué de lait, regrette-t-elle. Je le trouvais un peu maigre, les enfants des autres me semblaient plus joufflus et en meilleure santé. »
La jeune mère avait pourtant reçu des conseils alimentaires, pour elle et son bébé, au sein de la clinique d’Ogudu. Ce travail de sensibilisation est plus difficile à mener dans les zones rurales, où les personnels de santé tentent d’impliquer les pères et l’ensemble de la communauté pour faire tomber les idées reçues et promouvoir les bénéfices du lait maternel. Un message qui se diffuse lentement, même si la pratique s’installe progressivement dans le pays.
Par Liza Fabbian pour Le Monde Afrique