Sur ce territoire aride, les centres de santé sont trop peu nombreux et les résistances à faire appel à une sage-femme, encore fortes.
Dans le couloir de l’hôpital de Mao, la vie s’accélère tout à coup. Sur un brancard, un corps rachitique caché par un voile sombre s’engouffre dans le bloc opératoire. Rupture utérine… Zara Abdoulaye peut mourir d’un instant à l’autre. A cet instant, les chances de la ranimer sont faibles.
La cousine de la patiente, accoucheuse traditionnelle du village, attend dans l’angoisse. C’est elle qui l’a accompagnée ici quand elle a compris que le bébé ne pourrait pas naître seul ; elle qui a appelé l’ambulance et est restée à ses côtés les quatre heures de piste de sable. C’est elle aussi qui avait organisé un accouchement traditionnel pour Zara Abdoulaye à la maison.
Avec ses 68 lits et sa pharmacie, l’hôpital de Mao vit au rythme des urgences. C’est la seule infrastructure à prendre en charge les cas obstétricaux compliqués dans le Kanem, une province désertique de plus de 500 000 habitants au nord du lac Tchad. Tous les centres de santé de la région, sous-équipés, envoient là leurs patientes en détresse. Mais comme Moctar Sergue Kidane, le directeur, ne dispose que de deux ambulances, il les réserve aux urgences vitales, en dépit des cinq demandes qu’il reçoit en moyenne chaque jour.
« Défi immense »
A peine Zara est-elle au bloc, que la cour de l’hôpital bruisse d’une nouvelle arrivée. Cette fois la femme vient du centre de santé de Nokou, à plus de trois heures. Quelques jours après avoir donné naissance à des jumeaux, elle continue à perdre beaucoup de sang et titube même désormais. « Hémorragie post-partum », diagnostique Bandal Djimet Aoudo, le chef du département clinique et l’un des deux médecins à pouvoir opérer. « Soit on décide de laisser la patiente se vider de son sang, soit on tente l’opération avec le risque d’une perte de sang plus importante encore », poursuit-il. A Mao, en effet, pas question de transfusion. La banque de sang est vide au fond d’un bâtiment, la poussière et le sable recouvrant les équipements, faute d’électricité pour la faire fonctionner.
« L’Etat a tout de même beaucoup fait en termes de structures sanitaires », tente de justifier Adoum Mahamat Nour, délégué sanitaire régional du ministère de la santé, qui dit désormais « compter sur les partenaires, car il le sait bien, le défi reste immense dans le Kanem. En fait, la crise économique qui frappe le pays depuis la brusque chute des cours du prix du pétrole en 2014 a réduit le budget de l’Etat au point que, selon le rapport de l’ONG Amnesty International « Budgets en chute, répression en hausse » publié en juillet 2018, l’argent consacré à la santé dans le pays a diminué de plus de 50 % entre 2013 et 2017.
En plus du faible nombre de structures de santé sur un vaste territoire, le Kanem manque aussi cruellement de personnel médical à y affecter. Sur les 180 centres de santé de la province, moins de la moitié est dirigée par un personnel médical formé, selon les autorités locales. « Dans certains coins reculés, les habitants sont même obligés de recruter des infirmiers et sages-femmes parmi la population du village », ajoute Jean-Luc Kagayo, spécialiste de la santé infantile et maternelle à l’Unicef. Alors, devant l’urgence des besoins, son agence a changé de stratégie et les humanitaires forment désormais le personnel déjà actif dans les centres de santé, qu’ils soient ou non diplômés.
Sage-femme à moto
C’est le cas de Christiane Gomo, sage-femme à Kékédina depuis un an. Cette mère au foyer de 34 ans est désormais fière de porter sa blouse rose, après avoir suivi une formation de trois ans au sein d’associations humanitaires. Depuis janvier, elle a déjà accouché vingt et une femmes, dans sa salle de travail d’une propreté sans pareille. Propre, mais sans équipement. Christiana Gomo n’a pas non plus de table d’examen gynécologique, ni de chaise, ni même de bureau, mais préférerait de loin au matériel ou mobilier qu’une deuxième sage-femme vienne l’épauler.
Car deux fois par semaine Christiane Gomo n’est pas à son poste, mais sillonne les villages à moto, boîtes de médicaments et instruments médicaux calés sous les bras. Dans un pays où une personne sur deux vit sous le seuil de pauvreté, les activités économiques priment trop souvent sur la santé, ce qui explique que certaines ne se déplacent que lorsque leur pronostic vital ou celui de leur bébé est vraiment engagé. En croisant les doigts qu’une ambulance soit libre.
Cette minisérie a été réalisée avec l’aide du Fonds français Muskoka.