Les accoucheuses traditionnelles gardent une forte influence. Peu à peu, elles sont sensibilisées et formées par les sages-femmes.
A cette saison, l’harmattan déplace les unes après les autres les dunes du Kanem. Et quand elles sont lasses de battre les sables, les rafales s’engouffrent dans le centre de santé de Kékédina avant d’y mourir au fond du couloir. C’est là que, cachée derrière un voile qui ne découvre que ses yeux, Maïmouna Alizaït attend, avant de pouvoir entraîner une femme enceinte dans le cabinet. Elle pointe son ventre rond, inquiète de ne plus y sentir bouger le bébé.
A 41 ans, Maïmouna est « matrone depuis toujours ». Un rôle d’accoucheuse traditionnelle appris aux côtés de sa mère dès l’adolescence pour « aider les femmes » dans une région longtemps totalement dépourvue de structures sanitaires et de personnel qualifié. Cela fait neuf mois maintenant qu’elle suit de près la grossesse de la femme de son quartier qu’elle accompagne aujourd’hui. Toutes les semaines, elle vérifie son anémie en observant ses muqueuses, les œdèmes en palpant ses pieds et la santé du fœtus en massant son ventre.
Jusqu’à sa dernière visite, ce jour-là, tout allait bien. Mais là, elle a vite amenée la jeune femme, pressentant un problème. Avant, comme elle a pu le faire des centaines de fois par le passé, elle aurait fait l’accouchement coûte que coûte à domicile, « dans des conditions difficiles et propices aux infections ». Mais avec l’arrivée d’une sage-femme et d’équipements médicaux à Kékédina, la donne a changé et elle n’hésite plus à accompagner ses patientes au centre de santé si elle a un doute.
Convaincre les femmes enceintes
Prévenir les grossesses avec complications, c’est le leitmotiv de tous les humanitaires présents dans le Kanem pour qui, comme le rappelle Jean-Luc Kagayo, spécialiste de la santé maternelle et infantile à l’Unicef, « les matrones doivent avoir un rôle d’accompagnante plus que d’accoucheuse ». Car ici tout le monde est persuadé qu’une vraie prise en charge médicale rapide des cas compliqués permettrait de limiter les 980 décès de femmes pour 100 000 naissances que subit la région.
Une analyse que partage Achta Adoum Djibril pour qui « on peut facilement sauver des vies ». Désormais d’ailleurs, la matrone de 54 ans qui ne se sépare plus de son fascicule de grossesse illustré. Rupture utérine, placenta mal placé, bassin immature ou encore hémorragie sont autant de maux qu’elle a découverts avec des centaines d’autres matrones du Kanem lors de formations dispensées par des médecins.
Si les accoucheuses traditionnelles sont convaincues, il leur reste encore à convaincre les femmes enceintes. Et dans cette région isolée du nord du lac Tchad, beaucoup préfèrent encore accoucher à domicile, par pudeur ou par tradition. Comme Kourié Idriss qui a « accouché trois fois à la maison avec la même matrone », et mettra au monde son quatrième enfant ici. Enceinte de neuf mois, elle a d’abord refusé de venir se faire ausculter au centre de santé de Kékédina, mais après les explications et avertissements de son accoucheuse, elle s’y est résolue, craignant pour la vie du bébé dont la tête est mal positionnée.
A côté d’elle, dans la salle d’attente, d’autres femmes acquiescent, ventre plus ou moins bombé, ceinturé d’un voile vif. Toutes sont accompagnées de leur accoucheuse traditionnelles, guide essentielle pour franchir la frontière de ce monde inconnu où « on ne connaît pas la sage-femme, ni ce qu’elle peut nous faire », chuchote une future maman.
Mère au foyer de la ville, devenue l’unique sage-femme formée de Kékédina, Christiane Gomo reconnaît que « sans l’aide des matrones, aucune femme ne viendrait accoucher au centre de santé ». La praticienne sait l’importance de la présence de ces « aînées » pour mettre le patiente à l’aise pendant l’examen gynécologique comme en salle d’accouchement.
« C’est souvent trop tard »
Si le centre fonctionne bien, il ne concerne toujours qu’une minorité de femmes enceintes. Dans le district de Kékédina, elles sont encore moins de 15 % à venir accoucher là, car « les matrones conservent le monopole de l’accouchement », selon Bellangar Ngarioumn, chef de zone de santé. Le manque de personnel qualifié additionné aux préjugés négatifs sur le milieu médical et à la pauvreté ambiante expliquent ce pourcentage. D’autant que « l’aide à la naissance reste la seule source de revenus pour ces vieilles femmes, remerciées par leurs patientes avec du beurre, de l’huile de vache ou encore du savon », ajoute le spécialiste.
Reste que les accouchements à domicile tournent parfois à la catastrophe. Démunies, les « matrones » arrivent alors en urgence au centre de santé avec des patientes en plein travail et à bout de force. « C’est souvent trop tard », regrette Bellangar Ngarioum, car les cas les plus difficiles doivent alors être orientés vers l’hôpital de Mao, à plus de deux heures de pistes sablonneuses.
Et puis souvent là-bas, la maternité affiche complet, comme ce jour de janvier. Là, une femme qui saigne depuis plusieurs jours après un accouchement à la maison vient juste d’y être admise, sévèrement anémiée, pronostic vital engagé. Félicité Kilégé Sam Sam, la sage-femme, la perfuse en déplorant l’« épisiotomie faite à la lame de rasoir puis l’infection qui a suivi ». Recouverte d’une couverture et les yeux dans le vague, la patiente se laisse masser le bas-ventre par sa matrone. Des gestes guidés cette fois-ci par la sage-femme, car pour faire « changer les mentalités et sauver nos sœurs, la sensibilisation doit être continue ». Un long chemin.
Cette minisérie a été réalisée avec l’aide du Fonds français Muskoka.