Malgré l’amélioration du taux de fréquentation des établissements de santé par les femmes pour accoucher, en dépit d’un ensemble de programmes mis en œuvre le taux de mortalité néonatal diminue peu.

Pour comprendre ce qui peut entrainer ces décès, une équipe d’anthropologues ENSPEDIA, coordonnée par Yannick Jaffré, a suivi dans des maternités de 5 pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Mali, Mauritanie et Togo)  tous les soins prodigués dans les 7 premiers jours de la vie.

Les anthropologues ont pu observer un ensemble de conduites ou de gestes qui ressemblent à des négligences involontaires des personnels de santé et qui, conjugués, construisent le décès de ces nouveau-nés, au moment de l’accouchement et surtout dès que l’enfant nait, lors des premiers soins qui leurs sont administrés dans les services de santé et à leur retour au domicile.

  • Dans certains cas, la femme est accouchée par les sages-femmes mais dans d’autres, l’accouchement est effectué par des matrones, aides-soignantes ou sages-femmes stagiaires. Bien souvent les nouveau-nés ne sont pas pris en charge par les personnels formés.
  • Au moment de la naissance, un enfant peut être laissé sans vêtement, sur une paillasse, à côté de la femme qui a accouché, et se refroidir. Ou encore, être transporté nu d’un service à un autre dans des couloirs où il y a des courants d’air.
  • Le soin du cordon n’est pas toujours adéquat. Il n’y a pas de surveillance du cordon ce qui fait qu’un cordon mal clampé après la naissance peut continuer de saigner et c’est seulement au bout de plusieurs heures, que l’on s’aperçoit que le pagne est taché de sang.
  • Si la naissance est un acte biologique, c’est aussi un événement social. Ainsi, lors du retour de l’enfant à son domicile, pour des raisons sociales, les parents font des bains à l’enfant, des massages. Cependant ces pratiques comportent des risques notamment lorsque l’on fait boire à l’enfant l’eau de son bain, provoquant des diarrhées qui peuvent entrainer la déshydratation de l’enfant.
  • L’enfant qui devrait être nourri exclusivement au sein est pris en charge par divers membres de la famille, la mère, la belle-mère, le père, la tante, ou la grand-mère qui toutes peuvent lui donner du sucre, de l’eau, des remèdes pour purger son ventre afin de le protéger.
  • Dans certains contextes, la femme est recluse à son domicile pendant une période de 7 jours donc de ce fait, elle ne consultera pas en cas de problèmes de santé.

« Socialement ces pratiques sont compréhensibles mais médicalement, même si elles ne sont pas des violences volontaires mais des négligences qui peuvent sembler minimes, leur conjugaison construit des risques et des vulnérabilités fortes pour l’enfant, tels que diarrhée, déshydratation, fièvre en cas d’infection, pouvant entrainer leur décès. » nous explique Yannick Jaffré.

Ce constat fait, comment agir pour transformer ces pratiques depuis la base afin d’améliorer les conduites de travail des sages-femmes et des matrones ? Comment éviter un programme du haut vers le bas et aller vers un programme qui part des populations, qui tient compte de la réalité et des normes sociales, pour le rendre le plus adapté possible à leurs pratiques ?

Basée sur cette étude, les anthropologues ont fait une série de propositions concrètes :

  • Continuer à fournir des descriptions fines de ces situations.
  • Systématiser ces approches par des audits qualitatifs et réflexifs où les professionnels de santé s’interrogeraient sur leurs propres gestes et façon de se comporter avec les populations, pour en comprendre les conséquences.
  • Former les professionnels de santé à ces questions complexes qui lient des activités médicales, des dimensions biologiques et des dimensions sociales.
  • Intégrer ces discussions sociotechniques, autant médicales que sociales, dans le fonctionnement régulier du service sous forme de staff socio technique.
  • Définir ce que l’on peut modifier dans ces pratiques pour qu’elles soient adaptées au milieu local.
  • Informer les familles des risques liés aux pratiques sociales et s’assurer de leur bonne compréhension des messages.
  • Sensibiliser les femmes sur le fait de revenir au centre de santé si des signes anormaux devaient apparaitre, des signes d’alerte de la part de l’enfant tels des cris, de la fièvre.
  • Mettre en avant collaboration des équipes pour améliorer les pratiques et apporter une réponse collective. Un décès peut provoquer une désolidarisation. Le soignant ne doit pas vivre individuellement la douleur du décès de l’enfant.

Dans chaque pays, les anthropologues retournent sur le terrain et organisent des restitutions et discussions en impliquant toutes les équipes y compris le personnel et les bénévoles qui ne sont pas forcément répertoriés officiellement.

« Les messages sont entendus et les acteurs sont d’accord. L’intérêt est perçu mais la difficulté réside dans la manière de communiquer les messages. Ce travail implique une collaboration sur une longue durée.  », conclut Yannick Jaffré.

Un travail de longue haleine qu’ENSPEDIA continue de mener patiemment, s’adaptant à divers paramètres tels le contexte, les personnes et les financements.

Cette étude, menée par ENSPEDIA, a été financée en grande partie par le Fonds Français Muskoka, soutenue par UNICEF, et par la Principauté de Monaco.

Découvrez l’émission Priorité Santé sur RFI sur ce sujet

 

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