Episode 3/4 « En Afrique, les femmes face aux violences »

En milieu rural, l’association La Colombe passe par les « fiosron » pour qu’elles usent de leur influence auprès de leurs maris.

Certaines, dès l’aube, ont fait plusieurs heures de route depuis leurs villages jusqu’à la préfecture de Tsévié, gros bourg situé à 35 km au nord de Lomé. Toutes ont revêtu leur plus beau boubou pour l’occasion. Certains plus chatoyants que d’autres, la broderie plus fine, les colliers de perles en terre cuite délicatement peintes plus lourds. Ce sont là les signes d’une aisance matérielle relative, mais surtout ceux distinctifs d’une forme d’influence, si ce n’est de pouvoir. Les signes liés à leur statut de « fiosron », littéralement « femme de chef », en langue éwé. Cette qualité sociale explique pourquoi une vingtaine d’entre elles se retrouvent assises là, côte à côte, dans la salle du conseil de la préfecture de Tsévié tendue d’un immense drapeau du Togo.

Elles répondent à l’invitation d’Adjoa Thérèse Akakpo, présidente de La Colombe, une association membre de l’Alliance internationale des femmes. « Les chefs de village sont les garants de nos us et coutumes et, théoriquement, de l’application des lois, explique-t-elle. Comme en milieu rural les gens ordinaires ne connaissent pas bien les lois, l’idée est de passer par les fiosron pour qu’elles usent de leur influence auprès de leurs maris afin d’améliorer le sort des femmes. » Autrement dit : des femmes d’hommes puissants au service d’autres femmes victimes des dérives machistes d’une société patriarcale.

Fondée en 1990 par Adjoa Thérèse Akakpo, alors enseignante, La Colombe s’est donné pour mission d’« apporter des solutions immédiates et efficaces aux différents défis auxquels sont confrontées les femmes rurales : insécurité alimentaire, pauvreté, problèmes sanitaires majeurs, analphabétisme, violences sexuelles et sexisme, taux élevé d’abandon scolaire chez les jeunes filles, manque d’accès à la terre, donc au crédit, c’est-à-dire dépendance financière vis-à-vis des hommes ».

Dans la ville de Vo Koutimé, plus de 700 filles et jeunes femmes victimes de diverses formes de violence et d’exploitation sexuelle ont été formées par l’association (couture, coiffure, cuisine, teinture…). Toutes les étudiantes ont aussi reçu une formation complémentaire sur les notions de base de l’entrepreneuriat et de l’alphabétisation. « Notre objectif était de les rendre autonomes. A elles ensuite de former d’autres jeunes filles et d’ouvrir leurs petites entreprises ou ateliers », explique Adjoa Thérèse Akakpo. En 2019, le centre a réorienté ses formations vers la promotion de l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes dans les filières agroécologiques et bioénergétiques.

« Bientôt vous nous dominerez »

Ce jour-là, à Tsévié, la présidente de La Colombe est venue avec des exemplaires imprimés d’un « extrait simplifié du code des personnes et de la famille ». « Les fiosron ne remplacent ni les chefs ni les juges, précise-t-elle. Mais elles comblent un vide dans la prise en charge des victimes. » Pas question pour autant de sauter par-dessus l’échelon coutumier : « Avant de pouvoir passer par leurs femmes, il nous a fallu convaincre les hommes. Et cela n’a pas toujours été facile de les sensibiliser aux droits des femmes, notamment en matière de propriété foncière et de droit de succession. »

Le cas d’Atipola Gabina, 36 ans, illustre ce genre de problématique. Accompagnée de « sa » fiosron, Agbessi Akoele, elle raconte qu’elle a été dépossédée de son héritage – des terrains plantés de palmiers à huile – par sa belle-famille à la mort de son mari. « A ce moment-là, je faisais des ménages à Lomé, explique-t-elle. Quand je l’ai appris, ils avaient tout pris. Je suis venu voir La Colombe pour savoir quoi faire en justice. »

« Les fiosron ne remplacent ni les chefs ni les juges, mais elles comblent un vide dans la prise en charge des victimes »

A Tsévié, assise derrière un long bureau faisant face à cette assistance d’une quarantaine de femmes – fiosron et victimes –, aux côtés notamment du représentant du conseil des chefs de village et du chef de canton, Adjoa Thérèse Akakpo écoute Atipola Gabina et d’autres victimes. Le sujet du jour porte sur le droit de la famille. Et à entendre le secrétaire général de la préfecture, on se dit qu’il y a du travail. « Au nom des hommes, je suis jaloux de tant d’intérêt porté aux droits des femmes. Bientôt vous nous dominerez », glisse Yendoubé Bandékiné. Sur un ton faussement badin, il semble dire : « ce n’est pas demain la veille ».

« Et soutenez votre président, qui vous a placées au centre de son action », n’oublie pas d’ajouter le fonctionnaire. On n’est jamais trop prudent dans ce pays où Faure Gnassingbé siège depuis 2005 à la tête de l’Etat.

« Je ne peux pas faire de miracle »

Considérant ce qu’était la politique familiale togolaise durant la présidence de son dictateur de père Gnassingbé Eyadéma (au pouvoir de 1965 jusqu’à sa mort en 2005), et comparativement aux autres pays d’Afrique de l’Ouest, le bilan présidentiel n’est pas nul. […]

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Dossier réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.

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