Le Monde
L’Afrique, ses mères et ses enfants en ont assez de souffrir à l’hôpital. Le forum de l’Unicef et du Fonds Muskoka conclut que la réduction de la mortalité des femmes en couche est possible en Afrique.
« Durant les trois jours de forum, 1 125 femmes auront donné la vie en perdant la leur et 4 833 nouveau-nés décéderont en Afrique de l’Ouest et du centre… » A Dakar, l’heure du bilan a sonné. A l’issue de l’événement sur l’expérience des soins maternels organisé par l’Unicef et le Fonds français Muskoka, des solutions concrètes ont été listées pour faire baisser drastiquement les mortalités maternelle et infantile dues aux mauvais traitements.
Effrayants, les chiffres rappelés par le docteur Alain Prual, organisateur de l’événement, suffisent à rappeler l’urgence de mettre en place des solutions concrètes. Et pas seulement d’apporter des réponses quantitatives. Dans certains pays de la région, 90 % des femmes accouchent dans une maternité mais, dans ces lieux, la qualité du soin n’est pas au rendez-vous. « Ces vies perdues sont d’autant plus inacceptables, intolérables, que dans leur grande majorité, elles pourraient être évitées par des interventions efficaces à haut impact, souvent peu coûteuses », se désole Alain Prual, conseiller en santé maternelle et néonatale au bureau régional de l’Unicef en Afrique de l’Ouest et du centre.
Marie Soulié, spécialiste des programmes de santé maternelle et infantile au Fonds des Nations-unies pour la population (Unfpa), choisit une image musicale pour expliquer le cœur du problème : « Avoir le personnel, le matériel et les intrants, c’est une condition nécessaire pour créer une mélodie sanitaire, mais c’est insuffisant. Il faut un chef d’orchestre pour mettre du liant, mieux organiser les services, favoriser le dialogue entre les communautés et les hommes politiques, pour faire respecter le droit des femmes. » Une table d’accouchement plus confortable ne suffit pas à changer l’expérience vécue lors de ce moment à hauts risques. La femme doit y être bien installée, y être écoutée.
Des critères de qualité adaptés
Pour apporter rapidement une meilleure offre de soins, des idées d’actions concrètes ont émergé au terme de la réflexion. « Il faut permettre aux Etats de mettre en place des mécanismes d’accréditation des maternités sur la base de critères objectifs et mesurables », propose Alain Prual. En 2016, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Unicef ont défini les « standards pour l’amélioration de la qualité des soins maternels et néonatals dans les établissements de santé ». Mais sans suivi sur le long terme, les standards se sont vite affaissés. « Pendant mes recherches, j’ai vu des centres se targuer d’être “femmes friendly”. Mais en réalité, dès que le médecin chef qui avait impulsé la dynamique a été remplacé, les critères n’ont plus été respectés et le logo est resté », se souvient Marie Soulié.
Ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire… Les schémas sont faciles à dessiner, mais souvent peu adaptés, chaque pays de la région ayant ses propres spécificités. Pour un anthropologue comme Yannick Jaffré, qui a beaucoup travaillé en Afrique de l’Ouest, entre les schémas globaux et la réalité du terrain, l’écart est en effet « énorme ». « Ne faudrait-il pas partir de la description fine de la situation de chaque pays, questionne le directeur de recherche émérite au CNRS, pour apporter des réponses adaptées à chacun ? Des éléments comme le fait qu’ici le chef infirmier change tous les trois mois, ou qu’ailleurs les meilleurs médecins préfèrent travailler en clinique pour gagner plus d’argent. »
Rôle de la société civile
En Tanzanie par exemple, une ONG américaine a demandé aux populations, aux autorités locales et aux professionnels de définir leurs propres critères de qualité en ce qui concerne le respect, la dignité et l’équité. A partir de ce travail, les groupes ont pu ensemble s’accorder sur des critères communs de qualité de l’expérience des soins.
Tous les participants du forum se sont accordé une chose : le rôle de la société civile est fondamental. Les ONG locales ont un important rôle de plaidoyer à jouer pour faire entendre les droits des femmes aux politiques, mais aussi et surtout aux femmes elles-mêmes. Pour cela, le modèle de l’« observatoire citoyen » a déjà fait ses preuves. Au Burkina Faso, l’ONG locale RAME (Réseau accès aux médicaments essentiels) a mis en place l’Observatoire citoyen sur l’accès aux services de santé (Ocass). Grâce à la veille communautaire, des éléments de dysfonctionnement précis des services de santé ont été collectés, et les autorités alertées.
Le problème reste que les ONG locales sont souvent trop faibles. « Depuis vingt ans que je travaille pour établir un dialogue, je n’ai jamais réussi parce que personne n’a les moyens de s’engager vraiment, explique le docteur Alain Prual, réaliste. Dans le cadre des Fonds français Muskoka, il y a une responsabilité à appuyer la société civile pour mettre en place ces observatoires. »
Dossier réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.