Le Monde

 

L’Afrique, ses mères et ses enfants en ont assez de souffrir à l’hôpital. Faire de la qualité des soins pour les femmes dans les maternités un droit.

Certes, ce n’est pas une convention, mais une charte. Pourtant, c’est un grand pas en avant qui a été fait avec l’adoption d’une Charte des soins de maternité respectueux lors du forum régional africain sur l’expérience des soins qui s’est déroulé à Dakar sous l’égide de plusieurs agences de l’ONU.

Caroline Maposhere, infirmière sage-femme membre du conseil d’administration de l’ONG White Ribbon Alliance (WRA), a ainsi été entendue lorsqu’elle rappelait que « les femmes ne demandent pas le luxe, mais ce qu’il y a de plus élémentaire pour le respect de leur dignité ». Devant chercheurs et représentants de la société civile de quinze pays d’Afrique de l’Ouest et du centre, la Zimbabwéenne avait lancé un « J’appelle à une révolution » après que l’assemblée eut fait le constat que, partout dans le monde, les femmes souffrent de maltraitance et de violences lors de leur accouchement.

Ce mercredi 23 octobre restera donc dans l’histoire comme jour d’adoption d’une Charte des soins de maternité respectueux. Enfin, à condition que le texte vive… Car, en 2010 déjà, l’USAID International publiait un état de la situation et révélait une réelle pandémie dans tous les pays du monde. Or, depuis les choses n’ont pas vraiment changé.

Alain Prual, organisateur du forum, se souvient aussi avoir participé à la publication d’une charte du droit des patients, réalisée avec le gouvernement du Niger en 1992 et lancée devant toutes les télévisions. « Je l’ai retrouvé dernièrement dans mon garage. C’est fou de se dire que ce sujet extrêmement important a été oublié, mis au placard pendant tant de temps », précise-t-il.

Plus une notion abstraite

Alors, il existe encore cette femme en Côte d’Ivoire qui refuse d’aller accoucher à l’hôpital parce qu’elle a peur d’être battue par la sage-femme. Cette Kényane, qui reste coincée dans l’hôpital parce qu’elle n’a pas de quoi payer les frais de son accouchement, et qui préférerait être en prison plutôt qu’ici, où on lui rappelle son crime d’être pauvre.

Ces situations et bien d’autres sont extrêmement répandues, et pas seulement en Afrique. « What Women Want » (« ce que les femmes veulent »), la dernière étude réalisée par la WRA et ses partenaires auprès de près de deux millions de femmes à travers le monde, a de nouveau montré l’étendue du problème. Aussi, par cette charte, la qualité des soins n’est plus une notion abstraite, elle devient un droit.

A l’accouchement, droit pour les femmes à la protection et à l’intégrité ; droit à l’information et au consentement ; droit à la confidentialité, à la dignité et au respect ; droit à l’absence de discrimination ; droit aux soins de santé, à la liberté ; droit à l’alimentation et à l’eau propre. Pour les nouveau-nés, droit d’être avec ses parents et droit à une identité. Dix articles pour autant de droits universels qui sont loin d’être respectés partout dans le monde.

« Un outil de plaidoyer »

« Une charte est moins puissante qu’un accord international car on ne demande pas aux pays de la signer, explique Luc de Bernis, spécialiste des questions de santé maternelle auprès de l’OMS et de plusieurs ONG internationales. Pourtant, ce texte « donne aux femmes un document de référence pour se défendre. Elle définit un cadre et c’est comme cela que le droit avance », affirme-t-il. La Charte des soins de maternité respectueux repose sur des normes incluses dans toutes les conventions en matière de droits humains, elles-mêmes ratifiées par la plupart des pays. C’est sa force.

« Elle doit être un outil qui inspire le changement dans les systèmes de santé », poursuit Suzanne Stalls, conseillère technique supérieure à Jhpiego, une ONG américaine qui a activement participé à son écriture. Et si les gouvernements manquent souvent de moyens pour honorer cet enjeu, « la mobilisation ne peut se faire qu’au niveau de la société, intime Blami Dao, directeur technique de Jhpiego en Afrique de l’Ouest et du centre. Des coalitions entre les professionnels, les médias et toute la société civile doivent se saisir de cette charte et l’utiliser comme un outil de plaidoyer ».

Mais le professeur de gynécologie obstétrique est réaliste : « La mise en œuvre de soins qui respectent les femmes ne peut pas se faire autour de ce seul élément. » Seule une action concrète fera bouger les lignes. « Il faut aller voir les maçons et les architectes et les faire travailler sur le design des salles d’accouchement en créant des box. C’est la base pour que des soins de qualité et humanisés soient possibles. Sinon, les dix articles de la charte seront certes affichés dans toutes les maternités, mais oubliés », précise-t-il. Rendez-vous demain.

Dossier réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.

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