Le Monde

 

Une meilleure prise en charge de la douleur et des émotions des jeunes patients émerge sur le continent et permet l’évolution, lente, des pratiques thérapeutiques.

« Je n’aime pas les piqûres. Ça me fait peur… Mais l’infirmière a demandé à mon père d’aller chercher une corde. Et on m’a attaché au lit pour me piquer. » A la violence du nœud qui l’a maintenu prisonnier, Birima, 9 ans, aurait préféré un geste d’attention, une explication ou, simplement, un sourire qui rassure. Ses parents aussi. Eux qui avaient choisi l’hôpital d’enfants Albert-Royer de Dakar, l’une des meilleures structures pédiatriques ouest-africaines.

Mais au Sénégal, comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, l’enfant est loin d’être roi. « Le contexte socioculturel est tel que l’enfant n’a pas l’occasion d’exprimer son ressenti par rapport à la maladie, puisqu’il est rarement autorisé à parler devant les adultes. Et, à l’hôpital, les personnels de santé ne lui donnent pas non plus la parole et ne considèrent pas toujours sa douleur comme un paramètre à prendre en compte », fait remarquer Ibrahima Diagne au Monde Afrique, en se référant à sa pratique de pédiatre à Dakar.

Pourtant, hier étouffée derrière les murs de l’hôpital, la souffrance de tous les petits Birima commence à se faire entendre et devient même un sujet de débat. « Nous essayons de sortir de notre routine en nous libérant des objectifs de productivité et en contournant au mieux la précarité de nos conditions de travail. Cela permet d’améliorer notre communication avec le patient, si jeune soit-il »,soutient Mame Dièye, infirmière depuis une vingtaine d’années dans un service de néonatologie à Dakar.

Incapacité à agir

Cette évolution des pratiques thérapeutiques est déjà perceptible dans plusieurs hôpitaux pour enfants ouest-africains et gagne doucement du terrain. En Mauritanie et au Burkina Faso, des groupes de parole commencent à se constituer, des « audits de qualité des soins » aussi. « Quand on les écoute et qu’on leur donne une place, les enfants expriment des choses très précises qui peuvent nous guider dans nos actes médicaux », ajoute Diarra Yé, pédiatre au CHU Charles-de-Gaulle de Ouagadougou, l’un des trois hôpitaux de référence de la capitale burkinabée. L’attention au malade présente en effet le triple avantage de « montrer ce que peut être une médecine centrée sur le patient et pas sur la seule pathologie, de penser l’enfant comme un acteur de ses soins, de sa santé et, à terme, d’améliorer l’hôpital pédiatrique dans son ensemble », analyse l’anthropologue et directeur de recherche émérite au CNRS, Yannick Jaffré.

Ce chercheur a dirigé une très large enquête auprès de spécialistes en sciences sociales, de professionnels de santé sur la qualité des interactions entre soignants et enfants dans les services pédiatriques au Sénégal, en Mauritanie, au Burkina Faso et en Guinée. C’est à lui que Birima a confié sa douleur, rapportée dans Enfants et soins en pédiatrie en Afrique de l’Ouest (éd. Karthala), un ouvrage collectif qui veut faire un état des lieux de l’émergence de ce sujet. Car, pour Birima comme pour beaucoup d’autres, l’enquête souligne que les soins dans les hôpitaux africains comportent encore « une part de violence physique et morale, une négligence dans les protocoles thérapeutiques et une négation évidente de leur existence sociale ». Alors, pour faire avancer le débat, un colloque, baptisé Forum régional sur l’expérience des soins en Afrique, doit se dérouler du 21 au 23 octobre à Dakar. L’événement est organisé par le Fonds français Muskoka, qui œuvre à réduire la mortalité maternelle et infantile à travers le renforcement des systèmes de santé de huit pays africains francophones (Sénégal, Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, Niger, Togo, Bénin, Tchad).

Outre le bien-être qu’elle apporterait à l’enfant, une meilleure prise en charge de la douleur liée à une pathologie, mais aussi à celle générée par certains soins, limiterait aussi la souffrance des soignants, mal à l’aise face à leur incapacité à agir comme ils le souhaiteraient. Faute de matériel, de médicaments, l’infirmier n’a pas toujours une prise en charge à proposer au malade ; et, faute de préparation, il souffre aussi de n’avoir pas les mots et la présence suffisante pour tenir la main d’un enfant condamné, ou de savoir quoi répondre à un autre malheureux à l’idée que ses soins sont en train de ruiner sa famille.

En fait, cette prise de conscience croissante de l’importance de la personne derrière le jeune malade vient se superposer au travail encore crucial qu’il reste à faire sur la quantité de l’offre, son accessibilité, qui piétine, en dépit des 4,6 % ou des 3,1 % de leur PIB que des Etats comme le Bénin ou le Sénégal consacrent au secteur de la santé. Des sommes importantes dans des pays où la ressource publique est limitée, même si cela reste en deçà du seuil de 9 % recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« Un changement s’installe »

Depuis les indépendances, au début des années 1960, d’importants efforts ont été réalisés par les Etats africains dans la formation des personnels médicaux et paramédicaux, la création d’hôpitaux de proximité. Dès la fin des années 1990, l’ouverture de pôles d’excellence comme le Centre de recherche et de lutte contre la drépanocytose de Bamako, le Centre de formation et de recherche sur le paludisme du Mali, ou les centres d’oncologie pédiatrique de Dakar et de Nouakchott, en Mauritanie, ont multiplié l’offre. Dernier exemple, l’Hôpital général de référence de Niamey, inauguré en 2017, a déjà accueilli depuis, au Niger, plus de 40 000 malades. Car, d’année en année, la population croît et la demande de soins de qualité aussi. Peu à peu, une culture de santé se diffuse jusque dans des zones rurales reculées, où vit 70 % de la population, et « un changement dans le statut socio-affectif de l’enfant s’installe », lié, selon l’anthropologue Yannick Jaffré, « au phénomène continu d’urbanisation ».

Parmi le jeune public composé de 400 millions de moins de 15 ans, il y a urgence puisque près de 5 millions d’enfants décèdent encore chaque année avant 5 ans, notamment en raison du paludisme, de la malnutrition,dediverses maladies infectieuses et d’un ensemble de pathologies chroniques comme la drépanocytose et l’infection au VIH ou de cancers. Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme vient d’engranger 14 milliards de dollars de dons pour juguler ces trois maladies les plus mortelles. Mais des pathologies nouvelles s’installent, fruits des changements de mode de vie. Or, comme le rappelle l’OMS, il manque déjà 4,2 millions de médecins sur le continent.

Dossier réalisé en partenariat avec le Fonds français Muskoka.

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