Entretien avec le directeur du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa) pour la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, sur la santé reproductive: « Nous devons investir dans de véritables partenariats avec les jeunes », déclare Mabingue Ngom
Le directeur du Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa) pour la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Mabingue Ngom, a pris part du 6 au 9 mai dernier à Cotonou, à une rencontre régionale sur les sept premières années de la mise en œuvre du Fonds français Muskoka. Au terme de la rencontre, Mabingue Ngom est revenu, pour la presse, sur les grandes leçons à tirer de ce rendez-vous où il a été question de la santé des femmes, des nouveau-nés, des enfants et des adolescents en Afrique de l’Ouest et du Centre.
L’Evénement précis : Cotonou vient d’abriter une réunion sur les sept premières années du Fonds français Muskoka. Quelles leçons peut-on tirer de cette rencontre?
Mabingue Ngom : Nous venons de passer deux jours à Cotonou pour faire la revue des 7 premières années du Fonds Muskoka qui a été lancé en 2010 par la France pour venir en appui à la lutte contre la mortalité maternelle, infantile, néonatale. L’idée de cette rencontre c’était de voir les progrès qui sont faits, les bonnes pratiques qui ont été recensées ces dernières années, mais également les obstacles qui sont devant nous pour régler le problème de la mortalité et infantile principalement, mais également voir comment amplifier les actions en cours et, par ailleurs, améliorer la coordination au niveau des intervenants, pas seulement dans le cadre de cette intervention qui est appuyée par la France, mais aussi au niveau des autres mécanismes qui contribuent à la résolution des mêmes problèmes. C’est l’essentiel du sujet de la conversation.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué au cours de cette rencontre ?
Le point sur lequel je veux insister, c’est l’implication de la jeunesse. Je pense que c’est l’une des premières fois que nous accueillons autour de ce mécanisme, des jeunes venus de chacun des pays Muskoka. C’est des jeunes qui ont contribué activement à la conversation. Il y a énormément de leçons qui sont ressorties au cours des conversations. Ça fera l’objet d’une analyse approfondie pour voir ce qu’il est possible de faire, d’abord pour accélérer la réponse avec les moyens actuels, deuxièmement pour renforcer les partenariats autour des Fonds français Muskoka en faisant venir des partenaires additionnels comme le Danemark, mais également ce que nous pouvons faire d’un point de vue institutionnel pour optimiser le mécanisme de coordination et, pourquoi pas, les rationaliser.
Ce qui me vient à l’esprit, c’est cette forte participation des jeunes. Nous devons en faire une habitude, et pas une exception. A chaque fois que des décisions sont en train d’être prises sur les questions actuelles et à venir, nous devons nous assurer que les jeunes soient autour. Ça demande un changement de mentalité. Je sais que c’est difficile, parce qu’on en parle partout, dans toutes les institutions. On lit dans tous les discours, la participation et l’intégration de la jeunesse. Mais comme tout processus de changement, ce n’est pas gagné d’avance. Il faut y croire, s’y mettre, y travailler. Il faut investir dans cette nouvelle relation où nous apprenons à avoir autour de nous, les responsables de demain. Si nous approchons les jeunes comme étant des clients, des propriétaires des investissements que nous sommes en train de faire aujourd’hui, je crois que ça peut contribuer à un changement de comportement, au niveau-même des institutions et même des grandes institutions. Ce changement de comportement peut engendrer des changements extraordinaires qui, eux-mêmes, vont générer des effets qui vont créer la transformation.
C’est un défi pour nous autres d’un certain âge, un défi pour les institutions qui ont eu l’habitude de travailler de façon différente et quand je parle d’institution, je pense également aux pays, à toutes les formes d’institutions qui font la société d’aujourd’hui. Avoir les jeunes à côté, tout comme avoir les filles à côté, lorsqu’on prend des décisions, pourrait créer cet effet de chaîne qui peut mener très loin en termes de changement de la vie des populations partout à travers le monde. Parce que, qu’on le veuille ou pas, nous sommes dans un monde où chaque chose qui est fait à un endroit se ressent partout ailleurs. Nous devons investir dans les jeunes, investir dans de véritables partenariats avec les jeunes et nous ne devons jamais oublier la jeune fille qui est un segment du chantier qui doit attirer l’attention de nous tous, d’abord les hommes, et surtout les jeunes. C’est un chantier important sur lequel nous devons travailler et faire plus.
Vous avez mis en exergue trois mots au terme de cette rencontre, à savoir ‘’alignement’’, ‘’accélération’’ et ‘’redevabilité’’. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Ces trois mots regroupent un ensemble. Il s’agit simplement d’accélérer la transformation par tout ce que nous faisons. L’alignement n’est pas un objectif. L’alignement est un moyen qui nous permet de faire mieux, d’éviter de faire des casses. Parce que, lorsque vous avez des interventions qui sont désordonnées, des interventions qui se chevauchent, bref, des interventions qui ne sont pas alignées, il y a des pertes d’efficiences extraordinaires. Ça crée la confusion dans la tête des partenaires et même sur le terrain. L’alignement est pour moi une source de financement, un moyen d’accélération, de rationalisation de l’action.
Tout ce que nous faisons aujourd’hui, c’est de voir ce qu’il est possible de faire pour accélérer la marche vers cette transformation. L’alignement, tout comme l’arrivée de nouveaux partenaires, tout comme l’accélération, n’ont de sens que s’ils contribuent à faire en forte qu’on n’attende pas 2030, qu’on n’attende pas 2063. D’ailleurs, je me demande toujours pourquoi nous devons attendre 2063 pour arrêter les mutilations génitales féminines, pourquoi nous devons attendre jusqu’en 2030 ou 2063 pour mettre fin à la mortalité maternelle. Pourquoi devons-nous attendre demain si nous pouvons faire ce que nous pouvons faire d’ici à 2030, pourquoi ne pas régler certains de ces problèmes.
Notre réunion nous a permis d’identifier des pistes d’intervention qui, intégrées dans la conception de la mise en œuvre des actions futures, nous avons la possibilité de faire des pas additionnels avec les moyens de bord. C’est un exercice tout à fait positif et nous repartons de Cotonou conscients que nous avons fait beaucoup de progrès. Il n’y a aucun doute, nous avons fait énormément de progrès car nous sommes partis de 1040 femmes qui perdaient la vie pour 100.000 naissances vivantes à actuellement 679 pour le continent, et peut-être dans certains pays comme le Bénin, à 400. C’est vrai que 400 c’est trop, mais 400 c’est très peu par rapport à 1040. Mais 400 femmes qui perdent la vie, c’est trop, perdre même une vie, c’est trop.
L’ambition, c’est que nous puissions faire reculer la souffrance et la misère qui vient avec cette souffrance qui est en Afrique, au sud du Sahara comme dans les pays développés. Je ne vois pas pourquoi nous allons nous donner comme objectif 100 femmes qui meurent en Afrique si on peut faire zéro. Et il y a une contribution additionnelle que nous pouvons apporter, si chacun d’entre nous commence à traiter la fille de la même façon que le garçon. Ça donne l’impression de quelque chose de très banal mais la portée d’une telle action va extrêmement loin. Ça sera le sujet de notre rencontre de Nairobi au moins de novembre.
Que se passera-t-il à Nairobi ?
Nous allons célébrer les 50 ans du Fonds des Nations unies pour la population, et les 25 ans de la Conférence internationale sur la population et le développement (Cipd).
Nous ne sommes pas encore sur la ligne de fin du parcours. C’est le bon moment d’accélérer, c’est le bon moment de sauver des vies, c’est le bon moment d’investir dans la jeunesse.