Avec « C’est la vie » saison 2, Marguerite Abouet crée encore la surprise. Pour Le Point Afrique, elle dit tout sur cette série atypique qui traite de la santé en Afrique.
Raconter l’Afrique, voilà la mission que s’est donnée Marguerite Abouet. L’aventure a commencé il y a un peu plus de dix ans, avec la parution du premier volume de la très célèbre Aya de Yopougon. Cinq tomes et 700 000 exemplaires plus tard, le quotidien de cette adolescente ivoirienne dans le quartier de Yopongon, à Abidjan, n’a plus de secrets pour ses lecteurs, issus des quatre coins du monde. Adaptés au cinéma en 2013, les personnages de l’œuvre de Marguerite Abouet et de Clément Oubrerie prennent vie. Un plaisir que la scénariste ivoirienne n’a pas boudé. Pourtant, quand le réalisateur sénégalais Moussa Sène Absa lui propose d’écrire le scénario de la série C’est la vie, destinée à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, elle refuse. La peur d’un ton qui se voudrait trop moralisateur. Le cinéaste lui explique alors son souhait d’aborder, avec elle, des sujets réputés sensibles. Touchée par la démarche et avide de proposer un contenu de qualité aux téléspectateurs africains, elle accepte.
Et voilà le centre de santé du quartier imaginaire de Ratanga qui prend vie, autour de quatre femmes puissantes qui devront faire face à différents rebondissements : un cas présumé à tort d’Ebola, une campagne de vaccination, un trafic de faux médicaments ou encore les difficultés d’accès aux soins en zone rurale. Il faut dire que, forte du succès de la saison 1, l’équipe a pu bénéficier d’un budget important assez rare sur le continent (environ 30 000 euros par épisode) pour être souligné. Conséquence aussi, le recrutement d’une équipe de réalisateurs élargie autour des deux scénaristes, Marguerite Abouet et Charli Beléteau (Plus belle la vie saison 1), on retrouve Lionel Meta venu du Cameroun, Lucrèce D’Almeida du Bénin, Idrissa Guiro et Fatou Kande Senghor du Sénégal, Salimata Tapily du Mali, Magagi Issoufou et Tom Ouédraogo venus du Burkina Faso et d’autres qui ont été sollicités, parfois au dernier moment.
Marguerite Abouet va alors, au sein d’une équipe, faire ce qu’elle aime : raconter des histoires. Les mots de la scénariste vont rythmer la vie des personnages du centre de santé de Ratanga, une ville africaine imaginée pour l’occasion. Mariage, accès aux médicaments, sexualité… Autant de sujets abordés dans la série, exploités dans le but de faire changer les comportements. La chaîne cryptée A+ diffuse aujourd’hui la saison 2, qui compte 36 épisodes. Marguerite Abouet a accepté de nous en dire plus sur cette nouvelle aventure.
Le Point Afrique : Quelles étaient vos ambitions au moment de l’écriture de la saison 2 de C’est la vie ?
Marguerite Abouet : Dans la saison 2, on retrouve nos quatre héroïnes (Assitan, Korsa, Magar, Emade) et tous les autres personnages qui gravitent autour d’elles. Ce qui était important pour nous, pour cette saison 2, c’était de raconter la jeunesse. Parce que la jeunesse africaine représente la moitié de ce continent. Et, quand on parle de jeunesse, on parle d’éducation, de sexualité, de rapports difficiles avec les parents, etc. Mais il nous paraissait important d’aborder avant tout les difficultés de ces jeunes, pas seulement d’effleurer le thème de la jeunesse. Car, après tout, la jeunesse africaine ressemble à n’importe quelle jeunesse du monde en réalité. Mais nous, notre difficulté était de parler de leurs rapports à la sexualité et de dire que oui, les jeunes ont des rapports sexuels. Il faut qu’on en parle, il ne faut pas que ça soit tabou, pour justement qu’ils aient des armes : avoir des endroits, des plannings familiaux, où ils peuvent avoir des informations, des adultes qui les guident et ne les jugent pas.
Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de participer à un projet dont le contenu est fortement orienté avec des objectifs de communication sur les enjeux de santé ?
Au début, lorsque le producteur m’a appelée et m’a parlé de ce projet avec des messages, je lui ai dit non. Car, justement, mon travail à moi, c’est de raconter une autre Afrique, pas d’être didactique et pédagogique. À chaque fois que l’on s’adresse aux Africains, on a l’impression que l’on doit leur apprendre à se soigner et à arrêter de faire la guerre. Moi, je ne suis pas dans cette démarche. Et puis il m’a dit : « Est-ce que je peux te rencontrer à Paris ? Il faut vraiment que ça soit toi, tu es la mieux placée. » Alors j’ai accepté de le rencontrer. Il m’a parlé de chiffres : une fille sur deux accouche avant l’âge de 18 ans en Afrique, une petite fille sur deux est excisée, de nombreuses femmes ne savent même pas ce que c’est que les quatre visites prénatales. Cela signifie qu’elles ne vont même pas voir un médecin, une sage-femme… Une femme sur 162 meurt en donnant la vie, alors que, dans les pays développés, c’est une femme sur 43 000. C’est énorme. Donc, en fait, les chiffres m’ont quand même convaincue. Je me suis dit : « Moi, ce que j’aime, c’est raconter des histoires liées aux problèmes des femmes et justement pourquoi ne pas faire cette série ? » Mais, en même temps, ce qui m’importait, c’était d’y intégrer les 70 % de divertissement. On a 30 % de messages. Donc à moi de créer des personnages. C’est un vrai challenge, un vrai défi pour moi qui veux travailler en Afrique, qui veux faire des projets avec les jeunes, avec les femmes. C’était une belle occasion.
Est-ce que cela ne vous a pas frustrée, vous qui êtes dans un univers imaginatif et créatif ? Comment avez-vous procédé pour écrire sur des sujets très concrets, très terre à terre…
Non, cela ne m’a pas frustrée comme on peut le penser. Parce que je m’identifie beaucoup à mes personnages. Je crie des personnages qui me ressemblent. C’est peut-être pour ça qu’elles sont si féministes, parce que, malgré leur vulnérabilité, les femmes africaines sont les chances de ce continent…