Le Monde Afrique
Face au ralentissement de la lutte contre la maladie parasitaire, le rapport 2019 de l’OMS met l’accent sur les populations fragiles et isolées.
Les femmes et les enfants d’abord : c’est le message fort que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé de mettre en avant, particulièrement pour l’Afrique, dans son rapport 2019 sur la lutte contre le paludisme, rendu public mercredi 4 décembre. Braquer les projecteurs sur le continent est une nécessité puisqu’il continue de porter le plus lourd fardeau de cette maladie mortelle, avec 93 % de tous les cas dans le monde. En 2018, ce sont 228 millions de personnes qui ont contracté la maladie parasitaire véhiculée par le moustique anophèle et 405 000 en sont mortes. Près de sept victimes du parasite sur dix ont moins de 5 ans.
Les femmes enceintes sont particulièrement vulnérables. En 2018, 11 millions d’entre elles, vivant dans 38 pays du continent, ont été contaminées, ce qui équivaut à près d’un tiers de toutes les grossesses africaines. Mais la même année, seulement 31 % des femmes enceintes vivant dans des zones à risque ont reçu les trois doses de traitement préventif recommandées par l’OMS. Les conséquences d’une infection par le parasite Plasmodium falciparum sont importantes pour les mères mais aussi pour les enfants qu’elles portent, puisqu’ils naîtront avec un poids trop faible. Moins gros, ils sont davantage exposés à venir au monde prématurément et donc à mourir dans les premiers mois de vie. L’OMS a estimé que 872 000 enfants du continent sont ainsi nés en insuffisance pondérale.
Par ailleurs, sur les 24 millions d’enfants infectés et âgés de moins de 5 ans, en Afrique subsaharienne, la moitié souffrait d’une anémie modérée et 1,8 million d’une anémie sévère, facteur de risque majeur de mortalité infantile. « Le paludisme continue d’être une maladie de la pauvreté et de l’inégalité », explique le Guinéen Abdourahmane Diallo, directeur général du partenariat Roll Back Malaria pour en finir avec le paludisme : « Les femmes et les enfants étant les populations les plus vulnérables, il est important de mettre l’accent sur cet enjeu, même s’il n’est pas nouveau. »
Couverture santé universelle
L’agence onusienne insiste d’autant plus sur cette priorité que les outils de prévention, de diagnostic et de soin existent et ont fait leurs preuves. Pour atteindre ces femmes et ces enfants parfois isolés, la clé de la lutte « repose sur la construction de systèmes de santé communautaires robustes et, surtout, sur la création ou le renforcement d’une couverture santé universelle », détaille le docteur Diallo. Une prise en charge globale et minimale des femmes durant leur grossesse leur permet en effet d’accéder à la prévention du paludisme, d’être diagnostiquées et, le cas échéant, soignées. Ce suivi de base est également essentiel pour les enfants après l’accouchement, d’autant plus si la mère a été infectée.
C’est d’autant plus urgent que, en 2018, plus d’un tiers des enfants ayant développé une fièvre (36 %) en Afrique subsaharienne, donc susceptibles d’avoir été infectés par le paludisme, n’ont eu accès à aucun soin. « Les agents communautaires sont les mieux à même de délivrer une bonne information et de faire une prévention efficace, rappelle le docteur Diallo. Ne serait-ce qu’en distribuant des moustiquaires imprégnées d’insecticide », qui restent encore le moyen le plus efficace pour se protéger de l’anophèle. Désormais, 61 % des enfants qui vivent dans une zone « impaludée » dorment sous une moustiquaire, contre 26 % en 2010.
Six pays africains concentrent plus de la moitié des personnes atteintes du paludisme : le Nigeria, qui compte à lui tout seul un quart d’entre eux ; la République démocratique du Congo (RDC, 12 %) ; l’Ouganda (5 %) ; la Côte d’Ivoire, le Mozambique et le Niger (4 % chacun). Et seulement sept pays du continent ont réussi à vaincre la maladie : l’île Maurice, le Maroc, le Lesotho, les Seychelles, la Tunisie et l’Egypte, auxquels l’Algérie vient tout juste de se joindre puisqu’elle n’a enregistré aucun cas en 2018. Enfin, le Cap-Vert, l’Eswatini et le Botswana pourront bientôt être déclarés « libres de tout paludisme » (respectivement 2, 59 et 533 cas), tandis que l’Afrique du Sud, qui vient de passer sous la barre symbolique de 10 000 cas, est aujourd’hui sur la voie de l’éradication, selon le rapport.
Analyse fine des données
Même si la bataille est loin d’être gagnée, le rapport prend le temps de faire le bilan de quinze années de lutte (2000-2015) et rappelle que les « progrès ont été considérables ». L’OMS estime par exemple que, depuis 2000, au moins 93 millions de cas de paludisme ont été évités et que 590 000 vies ont été épargnées. Grâce à la disponibilité accrue de tests peu chers et de bonne qualité, le pourcentage d’enfants diagnostiqués a fait un véritable bond en avant, passant entre 2015 et 2018 de 48 % à 76 %. Sur la même période, l’investissement dans la recherche fondamentale et le développement de produits est en hausse et a atteint 598,2 millions d’euros en 2018, frôlant le record de 2009 qui s’était élevé à 610 millions d’euros.
Cependant, ces bons chiffres ne doivent pas faire oublier que le ralentissement dans la lutte se confirme. Il est presque certain que les Objectifs de développement durable adoptés par les Nations unies, qui visent à éradiquer le fléau d’ici à 2030, ne seront pas atteints. Le nombre de nouveaux cas observés chaque année, après une chute spectaculaire en 2014, stagne depuis. L’argent fait aussi défaut, estime l’auteur principal du rapport, le Kényan Abdisalan Noor, puisqu’il faudrait quasiment doubler les moyens actuels, qui s’élèvent à 2,44 milliards d’euros, pour en finir avec la maladie. Ainsi, « malgré la récente reconstitution du Fonds mondial [contre le sida, la tuberculose et le paludisme], la plus importante de toute son histoire, nous risquons d’être seulement capables de préserver les progrès accomplis, avertit le docteur Noor. Ce manque de financement est la plus grande menace qui pèse sur la lutte. »
Pourtant, une région dans le monde – l’Asie du Sud-Est – a prouvé qu’une volonté politique forte pouvait permettre de venir quasiment à bout de la maladie en quelques années. Un résultat obtenu notamment grâce à une analyse fine des données de terrain, qui permettent l’utilisation la plus ajustée des moyens disponibles. Le Cambodge, la Chine (province du Yunnan), le Laos, la Birmanie, la Thaïlande et le Vietnam sont ainsi parvenus, entre 2010 et 2018, à faire chuter le nombre de nouveaux cas de 76 % et les décès de 95 %. En 2018, le Cambodge n’a même enregistré aucun cas de décès lié à la maladie pour la première fois de son histoire.